Zaïm

Rien n'est beau qu'un matin laïc, dans la brume
A l'heure où le soleil est encore au dortoir
Et que la gaze dans la plaine se consumme
Comme un rictus d'encens quand s'ébroue l'encensoir.

Et Zaïm entra ici, avec son terrible cortège. Accompagné de sa vache Marguerite, il avait battu la campagne, usant ses semelles et salissant sa bure.
Les routes résonnent encore des chants liturgiques qu'il hurlait à tue-tête pour se donner de l'entrain. Entre deux airs pieux venaient se glisser parfois "Qui a vu le cul d'Lulu?" ou encore "les 3 orfèvres" mais l'ensemble restait malgré tout parfaitement conforme à la norme estampillée "Aristotélicienne".

"Chat, petit chat, chat tu m'égratignes, petit polisson tu m'égratigne les..."

Zaïm s'interrompit. Les premiers champs des abords d'Argentan étaient en vue. Il accéléra le pas, jeta quelques "Salut, Machin!" aux bouseux qu'il croisait et se dit qu'il fallait vraiment être un pécore sans cervelle pour bosser si tôt le matin.

Marguerite la vache était épuisée. Une si longue marche au côté d'un ahuri incapable de la boucler 5 mn... Et puis la fois où il avait fallu cavaler parce que cet âne batté de Zaïm avait, par une nuit sans lune, malencontreusement uriné sur un ours. Et puis toutes les fois où l'homme d'Eglise s'est senti si seul... Tout ce chemin pour finir en finir en entrecôte... Marguerite exprima son dépit par de longues flatulences désespérées.

Ils arrivèrent enfin sur la place du village, encore déserte.

Marguerite, regarde! On y est enfin! La liberté retrouvée, tout ça!
Allez, je te détache, tu l'as bien mérité.

Zaïm dégaina son couteau et d'un geste souple mais puissant, il trancha la corde qui enserrait le cou de Marguerite.
Une giclée de sang macula sa soutane et la bête poussa un long meuglement consterné en s'effondrant.

Meeeeeeuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuukeeeeelllkooooooooooonnnn!!!

Zaïm se demanda si son geste n'avait pas manqué de précision... Tant pis, ce soir, c'est brochette!